top of page

Je m'appelle la rue

Actualizado: 18 abr 2021

Par Marion de Cool Maryon


Qu’elle soit calme, sale, romantique, vivante, dangereuse, sombre ou désordonnée, la rue offre aux lieux du monde entier une histoire, une veine, une identité. Elle fait rêver, elle fait peur. Elle fait pleurer, elle fait sourire.

La rue fascine.


Premier pied au Mexique : Tijuana la dangereuse. Réputation fondée ou pas, ça n’est pas cela qui interpelle. Non, ce qui se jette sur l’asphalte, ce sont les couleurs assaillantes, les odeurs enivrantes. Ce sont les gens qui se bousculent, rient et s’agitent. C’est la chaussée qui dégueule de nourriture, de déchets et de tissus en tous genres. Ce sont les avenues qui crépitent, frémissent. C’est l’intensité vibrante et envoûtante de la ville.

Une introduction bordélique quelque peu effrayante mais incroyablement palpitante.


Le voyage continue et les villes se succèdent, tantôt sublimes, tantôt surprenantes.

Les marchés, couverts ou de rue (qu’on appelle tianguis), sont omniprésents et proposent des délices gustatifs, de l’artisanat aux détails mystérieux, des textiles qui reflètent un travail minutieux, des fruits juteux pleins de promesses colorées…

Le tout bercé par les cris et huées des vendeurs qui piaillent toute la journée. Ils communiquent dans des langues aux contours étranges et s’entraident de la plus ordinaire des façons. Et pour cause : il s’agit historiquement d’un lieu de transactions, presque sacré, dans lequel se réunissaient les communautés afin de commercer et partager. Un lieu qui connaissait son propre système de gestion, complexe et organisé. Finalement, un moyen idéal pour perpétuer les échanges communautaires, les dialectes natifs et les si jolies traditions.


Mais les marchés ne sont pas l’unique canal permettant de distribuer nourriture et vêtements. Les chariots ambulants et stands souvent bancals se disputent les pavés permettant aux locaux et touristes de se délecter de ce qu’on appelle communément la street food. Et celle mexicaine transcende ! Les célèbres tacos se plient, se dorent, se tartinent de viandes rôties et s’engloutissent à même le comptoir : un merveilleux moyen de pratiquer mon modeste espagnol.

Les elotes, ces élégants épis de maïs, les concurrencent se recouvrant d’une mayo-fromage dans une totale frénésie. Les tortas croquent, le mole intrigue, les flautas étonnent, les palomitas croustillent et les tamales fondent. Une diversité enivrante, un savoir-faire saisissant.

Et quand l’appétit se tait, l’artisanat local prend le relai : vêtements traditionnels et délicates poteries courent les rues. Ils se présentent sur les bras, sur la tête, sur le sol ou sur les murs. Chaque espace est savamment utilisé. C’est notamment à San Cristobal de Las Casas, dans le Chiapas que mes pupilles s’émerveillent. Les impressionnantes techniques de fabrication reflètent un patrimoine culturel empreint de beautés. Et si chaque ville ou village possède ses propres spécificités, coutumes et saveurs, tous révèlent la même joie, la même agitation, la même minutie, le même bruit, la même musique.


Cette musique, on l’honore notamment lors des nombreuses festivités, qui ont lieu… à peu près tout le temps. Toutes les occasions sont bonnes pour danser, célébrer les Dieux, chanter la vie, marcher ensemble, transmettre valeurs et cultes ancestraux ou encore remémorer l’Histoire. Du carnaval Zoque (le plus vieux du Mexique) aux sublimes processions de la Semana Santa en passant par le mondialement connu Dia de los muertos, les enceintes grésillent, les voix s’élèvent et les sourires ne s’évanouissent jamais. Bouillons de gaieté et d’euphorie, ces événements réveillent des sentiments endormis et murmurent à l’oreille du passant de ne surtout pas oublier que chaque jour est une fête. Les mexicains l’ont si bien compris.



Et quand ce ne sont pas les tacos qui tapent à l’œil, ce sont les églises, temples et couvents qui assurent le rôle de l’éblouissement. Les bâtiments religieux peuplent les rues, nous imposant une architecture rutilante ainsi que des décorations éclatantes. Le Templo de Santo Domingo à Oaxaca, la Parroquia de Santa Cruz à Puebla, l’Iglesia de Los Remedios à Cholula…à couper le souffle. Chargés d’histoire, ces lieux de culte nous racontent la sagesse, le calme et la beauté. Ils représentent tantôt un savant mélange de cérémonies oubliées et nouvelles traditions, tantôt un fidèle tableau de la religion catholique. Profondément pratiquants, les mexicains vacillent entre croyances pré hispaniques et catholicisme.

Un héritage complexe mais passionnant. Des enseignements forts et emplis de sens.


Mais au Mexique, la rue est également synonyme de résistance. Résistance pour préserver ses peuples autochtones. Résistance face aux violences faites aux femmes. Résistance face aux envahisseurs mal intentionnés. Résistance face aux volontés de détruire les rites ancestraux. Résistance face aux inégalités sociales. Les voix des zapatistes s’élèvent, les associations continuent de se former et de lutter, les femmes affichent et marchent, la solidarité est plus forte que jamais.

Ici, le peuple n’abandonne pas, il continue de se battre dans un esprit communautaire et indépendant.

Oui, la rue fascine. Surtout celle du Mexique.


Quand je suis à Oaxaca, je marche sur les pas des Mixtèques, au rythme des fabuleuses danses traditionnelles. Quand je suis à Morelia dans le Michoàcan, je déambule de stand en stand et me gave des plats typiques. Je savoure chaque repas comme s’il était le dernier. Quand je suis à Guanajuato, je m’émerveille devant la beauté des maisons aux milles couleurs, nichées dans les montagnes arrondies. Quand je suis à Puebla, je prie devant les centaines d’églises et rêve au pied du majestueux volcan Popocatepetl.

Quand je suis à San Cristobal, j’arpente les ruelles et apprends beaucoup grâce aux communautés indigènes très présentes, tellement belles.


Au Mexique, la rue est nécessaire, importante et vitale.

Quels que soient ses défauts, ses nombreux points à améliorer, elle doit continuer d’exister sous cette forme chaotique, envahissante, rebelle et peut-être libre finalement.

Elle doit continuer de faire rêver, de véhiculer cette joie contagieuse qui caractérise ce merveilleux pays qu’est le Mexique. Car c’est finalement grâce à la rue que rien n’est oublié. Que tous vivent.



Par Marion de Cool Maryon

bottom of page